Le thème des prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne est venu interroger ma pratique avec de jeunes enfants autistes.
Lacan fournit une piste à propos des sujets autistes : « Ils n’arrivent pas à entendre ce que vous avez à leur dire en tant que vous vous en occupez. […] Mais enfin, il y a sûrement quelque chose à leur dire[1] ». Ce « quelque chose à leur dire » n’a pas la forme de l’interprétation classique, qui viserait à faire émerger ou varier le sens. De plus, il n’est pas question de les accueillir en institution, sans intervenir, en attendant passivement que des choses se passent.
Travaillant dans un service où la plupart d’entre eux ne parlent pas et se présentent très en retrait de l’Autre, nous sommes sans cesse forcés d’ajuster notre présence en corps. À ce propos, la proposition de Jacques-Alain Miller ‒ reprise par Laurent Dupont sur le présent blog des J53[2] – me paraît appropriée pour approcher la position du clinicien avec le sujet autiste. « Et puis au-delà, on pourrait prendre appui sur un dit de Lacan dont on ferait un slogan : ‟L’analyste ne pense pas.” Dans son acte, il s’efface, il efface sa pensée, il retient sa volonté de penser, et reste sa présence, il doit être là.[3] »
« S’effacer », mais « être là » est un paradoxe que ces enfants nous apprennent, chacun à leur manière. Comment intervenir en s’effaçant ? Qu’est-ce qui doit s’effacer pour que nos interventions soient entendues ? Pour pouvoir me trouver auprès de cet enfant, j’apprends que je dois ni le regarder, ni regarder ailleurs, mais bien prendre acte du fait qu’il faille tenter de vider la présence de mon regard. À cette périlleuse condition – celle de manier l’objet pulsionnel pour le rendre moins présent ‒, il parvient à opérer des battements sur les objets plutôt que sur mon corps, puis plus tard, à faire circuler ces objets entre lui et l’autre, selon des circuits précis et toujours identiques. Dans cette pure répétition, des coupures devront s’introduire.
Ainsi, s’il s’agit avec l’enfant autiste d’être actif du côté du dire mais pas du côté de la présence[4], c’est en le soutenant dans la constitution logique d’un bord singulier, sur lequel la jouissance peut faire retour. Ceci offrant alors au sujet la possibilité « de se dégager de son état de repli homéostatique[5] » et de supporter du nouveau, de la différence.
[1] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n° 95, avril 2017, p. 17.
[2] Dupont L., « Présence de l’analyste », posté le 30 mai 2023 sur le blog des J53.
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 30 mars 2011, inédit.
[4] Stevens A., « Aux limites du lien social : les autismes », Feuillets du Courtil, n° 29, janvier 2008, p. 25.
[5] Laurent É., La bataille de l’autisme. De la clinique à la politique, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2012, p. 43-44.