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De l’usage de la parole en analyse

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Il y a quelques années, une célèbre actrice française disait : « Ce n’est pas la parole qu’il faut ressusciter, c’est l’écoute ! » Cet énoncé rendait compte de la possibilité pour un sujet d’adresser une parole, à partir d’un lieu où il est entendu, mais aussi où il peut s’entendre parler. Certains analysants témoignent d’ailleurs de s’être sentis entendus par leur analyste et comment leur parole, une fois qu’on en avait accusé réception, a eu un effet sur eux. C’est, dans ce lieu si particulier du cabinet de l’analyste, que la parole du sujet se révèle et prend de l’épaisseur, voire une autre consistance. Les effets produits sont toujours singuliers, propres à la logique de chaque cure. Je choisirai pour cette occasion de relever l’effet du saisissement, voire d’une discrète étrangeté, au cœur même de ce qui est du registre du plus intime, du plus singulier du dire en analyse. Dans le dispositif analytique, de quel statut la parole est-elle investie, la rendant si percutante ? Au-delà de la dimension essentielle du transfert, à partir de quelle logique topologique s’étaye-t-elle, lui décernant alors une opérativité inégalable ?

Je vous propose une citation prélevée dans le cours de Jacques-Alain Miller, qui a produit chez moi un effet d’énigme et de surprise : « La cause se présente comme une liberté parce qu’elle troue la loi.[1] » Cette formule nous enseigne combien l’hypothèse constitutive de la psychanalyse – celle du sujet de l’inconscient comme supposé – ne peut se penser sans la dimension de la Loi, à laquelle répondent les formations de l’inconscient. Mais, si ce postulat s’inscrit dans le champ des lois du langage, celles-ci ne peuvent cadrer ce qui est du registre de l’apparition ou de l’avènement du sujet de l’inconscient, sous la forme de ses manifestations.

J.-A. Miller ajoute : « un sujet est supposé au signifiant pour un autre signifiant, et […] dès lors le signifiant le représente pour un autre signifiant[2] ». C’est précisément cette greffe que constitue l’hypothèse de l’inconscient et qui produit l’effet d’une différence absolue. La praxis analytique s’oriente du vecteur partant du point d’origine singulier des dires de l’analysant, en dégageant l’énonciation qui lui est propre, qui se détache des purs énoncés dans leur dimension de récit. Son trajet passe par un certain renoncement à la jouissance, pour tendre à rejoindre la dimension du désir. Lacan écrit : « La castration veut dire qu’il faut que la jouissance soit refusée, pour qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du désir.[3] » Une place primordiale est décernée à l’hypothèse de l’inconscient, à partir d’une écoute très particulière, fondée sur les différentes modalités de l’interprétation.

Si le désir est de structure métonymique, il revêt une fugacité dans ses apparitions et comporte une certaine opacité ; il est « comme inconscient […] jamais là où on l’attend[4] » nous dit J.-A. Miller. Ce trou dans la Loi traduit qu’il y a structurellement de l’imprévisible, un manque quant à ce qui pourrait prédire l’apparition de ce qui relève de l’inconscient. Il s’agit d’un surgissement qui relève de la surprise. Si le prédictible n’est pas de mise, c’est ailleurs et autrement que la psychanalyse peut jouer sa partie. C’est peut-être au cœur même de cet impossible – de la prédiction et du calcul – que peut prendre place la dimension de la surprise, pour y loger le renouveau nécessaire qui constitue autant de chances inventives à venir pour le sujet.

La psychanalyse fait de la parole un usage inédit, puisqu’elle lui reconnaît un autre lieu que celui de l’énoncé. Par ce positionnement, elle convoque cette Autre scène et peut produire l’effet de faire advenir le sujet de l’inconscient.

Cela ne peut s’effectuer qu’à partir de ce préalable qu’est l’hypothèse du sujet de l’inconscient et ce sur quoi mise la psychanalyse : son avènement. Elle pourrait alors se penser comme une pratique de la surprise dans sa dimension vivifiante, ouvrant la voie vers un plus-de-liberté. Dans la rencontre particulière avec ce lieu de la parole, des voies d’ouverture vers le désir peuvent, ainsi, avoir la chance d’être frayées. Cela s’effectue depuis une position éthique, celle de ne pas renoncer au désir.

 


[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 9 mars 1988, inédit.
[2] Ibid.
[3] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 827.
[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », op. cit.

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