Délire ou symptôme ?

« Le président Schreber nous narre fort clairement les phases premières de sa psychose. [Il] a eu un fantasme qui s’exprime par ces mots, que ce serait une belle chose que d’être une femme subissant l’accouplement. Cette pensée qui le surprend, […] il précise l’avoir accueillie avec indignation. Il y a là une sorte de conflit moral ».
Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 74.

À la suite de son énoncé devenu célèbre Qu’il serait beau…, Daniel Paul Schreber signale avoir d’abord rejeté avec indignation cette idée qui lui apparaît étrange, étrangère. Des phrases pensées qui font trace existent aussi dans la névrose, comme chez Elisabeth von R outrée de penser, à la mort de sa sœur, à propos de son beau-frère : « Il est libre maintenant, je pourrai l’épouser.[1] » Chacun se sait concerné par une phrase, qui produit la marque laissée d’un certain conflit moral.
Alors qu’est-ce qui distingue la phrase marquante de Schreber et celle d’Elisabeth ?
La phrase de Schreber comporte un vide énigmatique. Un flou reste pour lui : était-ce une influence extérieure ou bien sa propre idée ? Dans l’après-coup de l’écriture, cette phrase est devenue signe déterminant l’orientation du délire schreberien. Elle témoigne de traces de pousse-à-la-femme avant le déclenchement du délire qui révèlera sa psychose, signe discret de la forclusion du Nom-du-Père.
Elisabeth, quant à elle, s’attribue d’emblée la phrase, mais elle lui est insupportable moralement. Elle refoule sa pensée, laissant apparaître des douleurs aux jambes, représentant un savoir insu-pporté sur son désir qui s’interprète ou « la situation de désir[2] » qui l’intéresse. D’un côté, la phrase est donc signe précurseur du délire, de l’autre, annonciatrice de la formation de symptômes.

[1] Freud S. & Breuer J., Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1975, p. 133.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 325.