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Du déchiffrement au cauchemar

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« Une théorie de l’interprétation qui […] se respecte, c’est une théorie de l’inconscient.[1] »

Voici ce qu’énonce Jacques-Alain Miller mettant ainsi en évidence que l’interprétation est intrinsèquement liée à la valeur, au statut et à la fonction alloués à l’inconscient. Il distingue trois temps :

L’inconscient interprétable

À ses débuts, Freud fait appel à l’interprétation pour pouvoir toucher, avec des mots, ce qu’il nomme le « refoulé », c’est-à-dire des représentations liées à des motions pulsionnelles jugées désagréables ou inconciliables avec le moi et qui ont été repoussées dans l’inconscient. Celui-ci est donc un système « hautement organisé », interprétable. En termes lacaniens, c’est l’inconscient structuré comme un langage. L’inconscient et l’interprétation y sont définis à partir de l’Autre, à partir de la parole. L’inconscient est histoire – ou plus exactement il est chapitre censuré de l’histoire[2] – et laisse à l’interprétation la charge d’en délivrer le sens emprisonné jusque-là. Donc l’inconscient chiffre et l’interprétation déchiffre.

L’inconscient interprète

Dans le Séminaire XI, l’inconscient est présenté sur un autre versant, la discontinuité n’est plus le signe d’un chapitre qui serait à retrouver, mais le témoin d’une pulsation. Lacan noue alors la pulsion à l’inconscient via l’objet a. L’inconscient est pourvu de moments d’ouverture qui laissent apparaître ses formations qui sont déjà une interprétation issue d’un travail préalable de l’inconscient. C’est l’inconscient interprète : « L’interprétation de l’analyste ne fait que recouvrir le fait que l’inconscient […] a déjà dans ses formations […] procédé par interprétation.[3] » Dans ce Séminaire XI, l’interprétation vise alors l’abolition du sens dans le sujet[4] et tente d’en isoler les signifiants maîtres. Mais avec l’apparition de l’objet a, nous avons les prémisses d’une jouissance opaque. Ce qui nous conduit au troisième temps, celui du Séminaire XX, Encore.

L’interprétation réveil

Il s’agit alors de situer l’inconscient à partir de la pulsion partielle, là où il n’y a pas d’Autre. La dimension intersubjective de l’inconscient est complètement déconstruite. Le sujet est pris dans un monologue que J.-A. Miller qualifie d’autiste et qui met en jeu sa jouissance propre. C’est le monde de l’Un. Dès lors, comment situer l’interprétation ? Il nous faut faire appel à une parole qui surprend, élément imprévu, dans le monologue de l’analysant. Une parole sur laquelle l’analyste, non sans un certain calcul, peut couper la séance pour en faire résonner la réson qui l’habite. C’est l’interprétation réveil. Une interprétation qui pourrait réveiller le sujet de l’illusion fantasmatique dans laquelle il est endormi : une rencontre avec un réel qui fait point d’horreur. Une « interprétation réveil », que J.-A. Miller n’hésite pas à appeler « interprétation cauchemar[5] ».


[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La fuite du sens », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 20 mars 1996, inédit.
[2] Cf. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 259.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 118.
[4] Cf. ibid., p. 227.
[5] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La fuite du sens », op. cit., cours du 20 mars 1996.


 

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