Du pire au rire

« La comédie va plus loin que la tragédie, il faudrait voir à ne point loublier. En un mot : avec du pire, faire du rire, non du père. Et si cela fait trop mal, eh bien, repassez nous voir quand vous serez au point et que vous saurez, de votre pif, toujours trop long ou trop court, faire, comme Cyrano, votre étendard1. »

Abreuvé de romans de chevalerie, Don Quichotte part en quête d’aventures. L’idéal de redresseur de torts ne cesse de se renforcer à mesure qu’il est battu – au sens propre – en brèche, parfois laissé pour mort. Acerbe, Miguel de Cervantès révèle le semblant du phallus. Le dérisoire, ressort du comique, surgit de l’écart entre le vieil homme et son idéal : « Il n’est pas naturel à l’homme de supporter à lui seul le poids du plus haut des signifiants. Et la place qu’il vient occuper à le revêtir, peut être aussi propre à devenir le symbole de la plus énorme imbécillité2. » Le fantasme, s’il donne un cap, laisse le sujet noué à une jouissance qui itère et le lecteur s’en trouve témoin. Celui qui questionne son être ne peut se définir qu’à partir du langage, ce qui rate indubitablement. Ce « Mange ton dasein3 » n’a donc « de sens que pour ceux qui y croient4 », et sous l’égide du père, le névrosé en fait une tragédie. Jean Rochefort était l’acteur idéal choisi par Terry Gilliam, maître de l’absurde, pour incarner l’hidalgo. Ces deux-là rêvaient du projet depuis des années. Après une série de déconvenues sur le tournage, l’acteur témoigne de son « désastre physiologique5 » qui va l’empêcher de jouer ; et T. Gilliam d’observer la transformation, toujours plus réelle, de son acteur en Don Quichotte. Le documentaire sur le tournage avorté se conclut sur cette phrase du réalisateur : « Les moulins à vent de la réalité sont de retour6 ». En rentrant chez lui, J. Rochefort fait une série de photos de lui « totalement dérisoires en Don Quichotte7 », timbale sur la tête, fourchette et râpe à gruyère en mains. « J’ai voulu […] faire ses photos pour me… piétiner la gueule8 ! », énonce-t-il avec son emphase théâtrale. N’est-ce pas là le talent de cet acteur : avec du pire, faire du rire ?