« Quand nous revenons à la racine du corps, si nous revalorisons le mot de frère, […] sachez que ce qui monte, qu’on n’a pas encore vu jusqu’à ses dernières conséquences, et qui, lui, s’enracine dans le corps, dans la fraternité du corps, c’est le racisme. »
Lacan J.,Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 236.
Cette citation du Séminaire XIX est marquante dans la mesure où elle éclaire le moment présent – avec la chute du père, l’avènement d’une société de frères.
Tirant les conséquences de son aphorisme Il n’y a pas de rapport sexuel, Lacan avance son complément[1] : Yad’lun. Il introduit l’Un-tout-seul, radicalement séparé de l’Autre, qui devient même la construction de chacun.
Lacan annonce la conséquence de la poussée de l’Un : la montée du racisme et de la ségrégation[2]. Surgissent des communautés de frères, se fondant autour d’un idéal commun et se faisant représenter par des S2 qui aujourd’hui pullulent. Elles ont besoin d’un élément externe pour se différencier et se donner consistance. Ceux de telle fratrie se collent, au regard de ceux qui en sont exclus. L’opposition entre « nous » et « eux » devient structurelle. Plus il y a de frères, plus il y a de ségrégation. Plus il y a d’inclusion, plus il y a d’exclusion.
Si l’idéal est le fondement de toute collectivité, de toute fraternité, donc de la ségrégation, est-il possible de l’annuler ? Dans la Théorie de Turin sur le sujet de l’École, Jacques-Alain Miller soutient qu’il « n’y a pas de degré zéro de l’Idéal » – « S’il y avait une annulation de la fonction de l’Idéal, il n’y aurait pas de communauté d’École »[3], note-t-il.
Que faire alors de l’idéal ? J.-A. Miller propose de le réduire par une interprétation régulière. Il accentue « l’effet désagrégatif[4] » de l’interprétation, qui aspire à dissocier la communauté, renvoyant chacun à la solitude subjective de son rapport à l’idéal.
Certaines phrases marquantes ont un effet de colle, d’adhérence. En analyse, l’interprétation opère un effet désagrégatif sur le rapport que le sujet entretient avec ces phrases parfois érigées en slogans, permettant ainsi de les lire autrement.
[1] Cf. Miller J.-A., in Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, quatrième de couverture.
[2] Cf. Miller J.-A., « Les prophéties de Lacan », Lepoint.fr, juillet 2024.
[3] Miller J.-A., Théorie de Turin sur le sujet de l’École, Paris, Presses psychanalytiques de Paris, 2024, p. 12.
