« Il aura fallu que cela arrive… »

La phrase marquante le fut après coup, à la faveur d’un événement dramatique venu bousculer sa plainte ordinaire. Diane est issue d’une famille de paysans catholiques, elle s’est mariée dans son milieu d’origine. Elle se plaint, séance après séance, des traditions stupides dont elle subit les effets. La chasse vient condenser tout ce qu’il y a d’insupportable et de cruel dans ce milieu. Elle ne supporte pas que son mari chasse et lui fait des scènes de ménage pour qu’il y renonce par amour pour elle.

La voix du surmoi
Un jour, Diane arrive complètement défaite en séance. Un accident dramatique a eu lieu lors de la dernière chasse organisée par son mari. L’analyste s’exclame alors : « Il aura fallu que cela arrive pour que votre mari se décide à arrêter la chasse. » Diane revient à la séance suivante, décidée à quitter l’analyste. Elle déclare qu’elle n’accepte pas cette phrase qui l’a profondément choquée, qu’elle trouve complètement à côté de la plaque. Sa dimension surmoïque lui a paru/est apparue obscène et l’a laissée sans voix, alors qu’elle s’attendait à un peu de compassion. L’analyste répond : « Mais, je n’ai jamais dit cela. » Diane en reste interloquée.

Son propre message
En quittant la séance, elle a une fulgurance et en est saisie dans son corps : c’est sa propre phrase que l’analyste a énoncée. Elle a donc entendu son propre vœu de mort par la bouche de l’analyste.

Ainsi avait-elle passé ses séances à prévenir qu’un jour, il finirait bien par arriver quelque chose. Et il était arrivé un drame, « selon son vœu1 ». C’était bien elle qui avait prononcé cette phrase dans sa plainte, sans rien vouloir savoir de sa propre participation à ce dont elle se plaignait. La rectification subjective fut au rendez-vous, suivie d’un allégement de la dimension surmoïque et de son corrélat de jouissance. Le prix de son sacrifice lui apparut indécent et la femme sacrifiée qui jouissait de sa plainte commença à assumer son désir.

L’amour du prochain
Cette phrase marquante vient résonner avec une citation de Lacan : « en voulant le bonheur de ma conjointe, sans doute je fais le sacrifice du mien, mais qui me dit que le sien ne s’y évapore pas aussi totalement ? Peut-être est-ce ici le sens de l’amour du prochain qui pourrait me redonner la direction véritable2 ». L’amour du prochain, vouloir son bien, c’est aussi bien vouloir sa mort. Lacan nous enseigne que ce qui arrête Freud devant le commandement de l’amour du prochain, « c’est la présence de cette méchanceté foncière qui habite en ce prochain. Mais dès lors elle habite aussi en moi-même. Et qu’est-ce qui m’est plus prochain que ce cœur en moi-même qui est celui de ma jouissance, dont je n’ose approcher3 ». Pour Diane, une révélation.

1 Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien, 2013, p. 76.

2 Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 220.

3 Ibid., p. 219.