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Interpréter sans son Autre

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En situant la question du côté de l’analyste, je me suis demandée, finalement, comment l’analyste s’y prenait pour lire ce que dit le sujet afin d’introduire une coupure avec ce qui se répète et fait souffrir ?

Quelle perte cela induit côté analyste pour une interprétation lacanienne ? Car d’une certaine façon, il paye de sa personne pour ne pas jouir du sens.

Comment lire « ce qui se dit dans ce qui s’entend[1] » ?

Je pars de ce postulat : l’interprétation avec Lacan produit du nouveau pour l’analysant, elle « dé-fixe[2] » le sens, ce sens qui ne sert qu’à recouvrir sa castration.

Dans son texte « La direction de la cure », Lacan affirme que c’est assurément le psychanalyste qui dirige la cure. Mais le principe premier de cette cure, pour une action au cœur de l’être, c’est « qu’il ne doit point diriger le patient[3] ».

On peut distinguer deux types d’interprétations différents : l’interprétation qui suit l’inconscient et celle qui dirige le Moi. Il y a l’interprétation qui endort, et celle qui produit du nouveau chez l’analysant.

Toute la difficulté pour l’analyste, il faut bien le dire, dans son acte, c’est de débusquer l’énonciation du sujet : qu’est-ce que ça dit dans ce qui se dit ? Il s’agit pour l’analyste d’extraire, puis de faire résonner le signifiant en sourdine qui agit dans la pulsion du sujet.

Par ailleurs, Lacan nous invite à déprécier la vérité, car viser la vérité du symptôme c’est aussi l’alimenter.

L’analyste a alors la subtile tâche de dégager le sujet de ce qui peut délirer imaginairement dans les formations de l’inconscient.

Laure Naveau dans son texte « Le stade du bizarre[4] » nous indique un dire vif de Lacan dont il faut prendre la mesure :

« L’interprétation n’est pas faite pour être comprise ; elle est faite pour produire des vagues [et pour ne] pas y aller avec de gros sabots […] il faut avoir été formé comme analyste.[5] »

En effet, le psychanalyste se sépare du sens lorsqu’il coupe, il ne peut extraire les signifiants qu’avec sa propre castration et ne peut calculer les conséquences de ce qu’il dit.

Si ça résonne dans le corps de l’analysant, c’est que ça vise juste. Et un trou reste au cœur de l’interprétation.

 Jacques-Alain Miller dans son texte « Le mot qui blesse » indique que pour qu’une interprétation lise dans ce qui se dit, cela suppose une transmutation de la parole en écriture et ajoute que « L’interprétation, ça n’est pas une question, ça n’est pas un Peut-être, c’est la formulation d’un Il-y-a, et à la pointe, d’un Il-n’y-a-pas. Il s’agit moins de faire voir quelque chose, que d’une absence, qui est de structure : l’impossible-à-dire.[6] »

Je conclurai ainsi : si l’interprétation lacanienne inclut l’impossible à dire, alors l’analyste doit avoir appris une chose, de par l’expérience de sa propre cure, c’est qu’on ne peut venir à bout du sens.

Dans l’interprétation-coupure, le sens s’arrête : « il n’y a plus grand-chose à dire[7] ». Et où le sens s’arrête, le réel prend « ex-sistence[8] ».

 


[1] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.
[2] Stevens A., « L’interprétation lacanienne », La Cause freudienne, no 72, novembre 2009, p. 138.
[3] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 586.
[4] Naveau L., « Le stade du bizarre », posté le 10 juillet 2023 sur le blog des J53.
[5] Lacan J., « Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines », Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, p. 35.
[6] Miller J.-A., « Le mot qui blesse », La Cause freudienne, n° 72, op. cit, p. 135.
[7] Freud S., Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1956, p. 103.
[8] Iddan C., « Là où le sens s’arrête », La Cause Freudienne, n° 72, op. cit, p. 143.

 

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