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LA PHRASE FANTASMATIQUE ET LA MARQUE

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Intéressons-nous à une phrase particulière, « grammaticalement structurée[1] », celle du fantasme, en nous référant à la lecture par Lacan d’« Un enfant est battu [2] ». Alors qu’une de ses premières approches l’amène à introduire le sujet barré et le phallus comme signifiant, sa dernière met l’accent sur le registre de la jouissance. Ces deux moments de son enseignement éclairent la dimension de la marque. Le temps 2 du fantasme, celui où le sujet-auteur est battu par le père, nous intéresse plus particulièrement. Ayant fait l’objet d’un refoulement primordial, cette phrase doit par conséquent être reconstruite en analyse.

Marqué d’une barre

Dans le Séminaire V, Lacan pose le sujet grand S comme $, « marqué par l’effet du signifiant », précisément : « marqué de la barre »[3]. Cet effet le fait naître en tant que tel tout en le faisant disparaître. Lacan dit qu’il y a quelque chose de signifiant « qui raye le sujet, qui le barre, qui l’abolit[4] ». Il introduit dès lors « l’instrument » de cette opération, un signifiant spécial, un « signifiant-pivot »[5], qui est aux commandes, à savoir le phallus – c’est un écho au fouet qui, dans la scène fantasmatique, frappe, au bâton du maître qui bat. Comme le dit Lacan, « le hiéroglyphe de celui qui tient le fouet a désigné depuis toujours le directeur, le gouverneur, le maître[6] ». Depuis le signifiant phallique (F), ici introduit, jusqu’au signifiant-maître (S1) à venir dans son enseignement, une continuité se dessine.

Effet de jouissance

Introduisons une lecture différente de cette scène de flagellation que met en scène le fantasme. Avec Lacan, considérons le signifiant non plus comme tuant la jouissance (le sujet barré est sans substance, vide de jouissance), mais comme pouvant la causer. Lacan, dans le Séminaire XVII, choisit la voie du corps. Il précise que le sujet, auteur du fantasme, reçoit « sa propre jouissance sous la forme de la jouissance de l’Autre[7] ». Nous avons ici un élément signifiant (battre) dont « l’effet est de se corporiser comme affect[8] » – là est la jouissance.

Nouvelle approche de la marque

Poursuivons encore notre travail de réduction et de resserrage autour du signifiant et de son impact afin d’approcher l’os de l’affaire. Lorsque Lacan introduit l’algorithme du fantasme, s’intéressant en priorité à l’élément $ comme sujet du manque-à-être, il le considère, en quelque sorte, comme relevant d’une scénarisation de la castration, que nous qualifions de langagière. N’avons-nous pas alors une sorte d’habillage, pour ne pas dire d’écran, de ce qui relèverait du trauma langagier comme tel ?

Ne peut-on pas convoquer un autre type de frappe pour formaliser ce dernier ?

Le « choc initial[9] », « choc pur », isolé par Jacques-Alain Miller, le conduit à pointer la « pure percussion du corps par le signifiant[10] ». Nous n’évoquons plus ici l’instance du sujet barré, mais celle du parlêtre ou du corps parlant. Si marque il y a, ce sera celle qui commémore ce qui a fait événement de jouissance, événement de corps. Cette marque et sa formalisation ne relèvent plus dès lors de l’instance du fantasme, mais de celle du sinthome.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien, 2023, p. 388.

[2] Freud S., « “Un enfant est battu”. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1992, p. 219-243.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 439 & 349.

[4] Ibid., p. 241.

[5] Ibid., p. 242 & 239.

[6] Ibid., p. 242.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 74.

[8] Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n°44, février 2000, p. 59.

[9] Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental, n°26, juin 2011, p. 58.

[10] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris 8, leçon du 25 mai 2011, inédit.

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