Dans son livre Le psychotique et le psychanalyste, Jacques Borie relate une présentation de malade lors de laquelle une femme dit qu’elle peut entendre la voix du muezzin appeler à la prière en continu. L’angoisse l’envahit alors, « Faute de coupure, la voix de l’Autre devient infinie, alors même que le muezzin s’est tu. ¹ »
C’est par cette phrase que j’ai eu envie d’aborder la coupure comme un acte qui pourrait dès lors alléger ou désorienter le passage à l’acte. Notre époque s’oriente d’une jouissance illimitée, faute d’en vouloir passer par l’Autre. Cet Autre dont on ne veut rien savoir mais qui agit. L’actualité nous rend témoin quotidiennement de ce refus qui engendre haine et pulsion de mort.
L’inconscient est dès lors remis en question. Pendant les dernières Journées de l’École « Je suis ce que je dis », cela a été déplié de multiples façons et la clinique nous indique qu’elle a affaire à cet inconscient réel.
Dit-on ce que nous voulons dire et que voulons nous dire ? Je sais bien ce que je dis ! Je sais bien ce que je suis ! Je suis ce que je dis ! Peut-on entendre. Je suis ce que je jouis, nous aura transmis Jacques Lacan.
L’inconscient freudien relu par Lacan a fait émerger le parlêtre, « l’inconscient, ce n’est pas que l’être pense, […] l’inconscient, c’est que l’être, en parlant, jouisse ² ». Ce n’est plus au sens qu’il faudra s’adresser mais à la jouis-sens, et pour qu’il n’y ait pas envahissement de la jouissance ce n’est pas par la parlotte qu’il faudra interpréter, mais par une coupure nous dit-il.
« C’est que le facteur décisif du progrès de la cure tient à l’introduction de la fonction de la coupure ³ ».
La coupure se fait sur les signifiants, elle agit du côté du trop dans la névrose et du côté du moins dans la psychose. Elle joue pour un remaniement du sujet dans son rapport à la jouissance.
Mais pour qu’une coupure se fasse et permette de se décaler de cet Autre trop féroce, il faut s’adresser à un autre qui pourra entendre. Cet autre peut être l’analyste ou un praticien orienté par la psychanalyse rencontré dans un cabinet ou dans une institution.
Ce qui pourrait amener à dire que l’acte psychanalytique est politique, dans le sens où ça agit sur le lien social. Ce lien qui ne veut pas signifier qu’il y aurait rapport sexuel, mais qu’avec quelques petites trouvailles on peut se tenir dans ce monde.
Dans son Séminaire « L’acte psychanalytique », Lacan disait qu’un acte est révolutionnaire de susciter un nouveau désir 4.
Lorsque en 1980 il dissout l’École freudienne de Paris, pour créer l’École de la Cause freudienne, cherchait-il à provoquer un désir de réveil par l’acte de coupure ?
« J’essaye d’aller là contre, pour que la psychanalyse ne soit pas une religion, […] dès lors qu’on s’imagine que l’interprétation n’opère que du sens. J’enseigne que son ressort est ailleurs, nommément dans le signifiant comme tel. 5 »
Je m’autoriserai alors à dire que notre orientation se soutient d’une éthique révolutionnaire comme nous pourrons l’entendre lors des prochaines Journées.
¹ Borie J., Le psychotique et le psychanalyste, Paris, Éditions Michèle, 2015, p. 70.
² Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 95.
³ Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 170.
4 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XV, « L’acte psychanalytique », leçon du 10 janvier 1968, inédit.
5 Lacan J., « Monsieur A. », lettre de dissolution du 18 mars 1980, inédit.