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L’analyste, un poète ignorant

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Dans son Séminaire XXIV, Lacan indique, je cite, « Être éventuellement inspiré par quelque chose de l’ordre de la poésie pour intervenir en tant que psychanalyste ? C’est bien ce vers quoi, il faut vous tourner[1] ». Il précise : « Si vous êtes psychanalyste, vous verrez que c’est le forçage par où un psychanalyste peut faire sonner autre chose que le sens. Le sens, c’est ce qui résonne à l’aide du signifiant. […] Le sens, ça tamponne. Mais à l’aide de ce qu’on appelle l’écriture poétique, vous pouvez avoir la dimension de ce que pourrait être l’interprétation analytique.[2] »

À l’occasion de la publication du livre de François Cheng L’Écriture poétique chinoise[3], Lacan envoie à l’auteur ces quelques mots : « Je le dis : désormais, tout langage analytique doit être poétique.[4] » La notion de vide médian, avancée par F. Cheng dans son ouvrage, indique un lieu d’où peuvent se saisir les effets d’un langage dont la structure défaite par la poussée de lalangue disloque le sens au point d’en faire sourdre une autre portée des mots. C’est à partir de ce trou creusé par le vide, et vidé de tout sens, que l’analyste peut installer son point de gué, diriger sa ligne de mire. De cette place vide, qu’il consent à occuper et que Jacques-Alain Miller désigne dans son cours d’Orientation lacanienne comme « la place de Plus-Personne[5] », l’analyste oriente son tir et tente de viser depuis son propre point d’ignorance ce qui, dans le dire de l’analysant, échappe à l’amour de transfert.

C’est ici un poète ignorant qui fait l’analyste, selon la proposition de Caroline Leduc dans son enseignement « Le Transfert à l’ère de l’Autre qui n’existe pas »[6] .

Et si « Dire est autre chose que parler », comme l’indique Lacan dans son Séminaire « Le moment de conclure » en 1977, il ajoute que « L’analysant parle. Il fait de la poésie. Il fait de la poésie quand il y arrive…c’est peu fréquent […]. L’analyste, lui, tranche. Ce qu’il dit est coupure, c’est-à-dire participe de l’écriture, à ceci près que pour lui il équivoque sur l’orthographe […] de façon à ce que de par la grâce de l’orthographe, d’une façon différente d’écrire, il sonne autre chose que ce qui est dit[7] ». Ainsi le poète ignorant en place d’analyste, n’est ici poète qu’à se faire scribe d’un réel qui ne s’articule qu’au tranchant de la lame qui opère, qui fait coupure et peut permettre à l’analysant de rejouer sa partie par la réécriture de son histoire.

 


[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 19 avril 1977, Ornicar ?, n17/18, janvier 1919, p. 16.
[2] Ibid., p. 15.
[3] Cf. Cheng F., L’Écriture poétique chinoise, Paris, Seuil, 1977.
[4] François Cheng confie ces mots à Judith Miller lors d’un entretien pour L’Âne, n° 48, octobre-décembre 1991.
[5] Miller J.-A.,« L’orientation lacanienne. Tout le monde est fou », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris 8, cours du 11 juin 2008, inédit.
[6] Leduc C., « Le transfert à l’ère de l’Autre qui n’existe pas », enseignement prononcé dans le cadre du campus de l’École de la Cause freudienne, cours du 1er avril 2021, inédit.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 20 décembre 1977, inédit.

 

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