La prédominance des discours d’autodétermination et leur dico présentent ses méfaits et ses revers, dont celui de provoquer le phénomène de l’imposteur. Que l’on distingue ici, entre d’une part, l’imposteur[1], le vrai qui est celui qui se donne pour quelqu’un qu’il sait n’être pas, et d’autre part, l’imposteur souffrant lui, d’être pris pour celui qu’il croit n’être pas. L’affect d’imposture est un sentiment répandu de notre époque. L’imposteur vit d’un sentiment d’insuffisance. « Suis-je celle ou celui que je devrais être pour être à cette place ? est-il légitime que j’occupe cette place ? ». Cet affect est souvent une affaire plus secrète que celle de l’identité affichée de « l’autodéterminé ». L’imposteur a peur d’être découvert et reconnu ou trahi pour et par ce qu’il n’est pas. L’homme contemporain veut se choisir, s’inventer librement sans qu’on lui impose une identité. C’est la promotion à tous les niveaux de l’autonomie, soit l’acte de se nommer soi-même, l’autodétermination (dans le genre), l’injonction de devenir l’autoentrepreneur de soi-même (c’est mon choix), qui conduit et pousse les contemporains à l’Un-tout-seul sans l’Autre. Ehrenberg, avait diagnostiqué dans son ouvrage La Fatigue d’être soi, le déprimé, en panne de devoir être soi et de n’être pas à la hauteur du changement. Mais il semble que se dessine un envers de cette position qui est l’affect d’imposture. L’imposteur serait pour Belinda Cannone dans « le mouvement pour la réussite, il veut réaliser ses potentialités, il le désire et agit[2] » mais pour autant ne trouve pas de satisfaction, ni de reconnaissance, il n’est pas celui que l’on croit. Nous pouvons rajouter que l’époque de l’évaluation[3] voire l’autoévaluation quantitative et chiffrée a accentué cet affect. La réduction de l’être sous un chiffre ne fait que dévoiler plus crûment l’absence de garantie de l’Autre, le vacillement et la chute des semblants, la déroute des signifiants maîtres devenus des signifiants esclaves[4], en échec pour situer et représenter le sujet[5]. Le chiffrage, qui n’est pas le déchiffrement, met à mal le sujet contemporain en quête dans sa passion de l’être à s’égaler à son énoncé, « je suis ce que je dis ». Or il y a un reste qui fait retour dans l’affect d’imposture, le retour de la jouissance. « La honte », affirmait Lacan, « c’est peut-être bien ça, le trou d’où surgit le signifiant-maître[6] ». Dans ces cas, c’est le signifiant imposteur qui fait retour, Un-posture de l’être, aucun prédicat ne fixe la jouissance d’être. Reste à distinguer au cas par cas, la division du sujet pris dans le désir de l’Autre, et ceux qui ont rejeté l’imposture paternelle. En effet ni pour l’un ni pour l’autre, la jouissance ne saurait être toute prise dans les rets du signifiant. En effet, il ne suffit pas que des sujets aient envoyé « balader la baleine de l’imposture [paternelle] et percé la trame [symbolique] de père en part[7] » pour être quitte du retour de la jouissance. À charge pour l’analyste de faire entendre que tout n’est pas semblant et que si l’imposture porte sur les paroles face au réel, il n’en demeure pas moins qu’il y a la jouissance qui taraude.
[1] Arnaqueurs de génie, ou tragique comme dans l’affaire Jean-Claude Roman, décrite dans l’ouvrage de E. Carrère, L’adversaire.
[2] Cannone B., Le sentiment d’imposture, Paris, Gallimard, 2009, p. 92.
[3] Miller J.-A. et Milner J.-C., Voulez-vous être évalué ?, Paris, Grasset, Coll Figures, 2004.
[4] Miller J.-A., « Le Neuro, le nouveau réel », La cause du désir, n° 98, 2018, p. 114-115.
[5] Ibid.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 218.
[7] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 581.