Les pouvoirs de l’équivoque

Au temps de l’inconscient structuré comme un langage, Lacan inscrit l’équivoque dans le champ de la parole et du langage. L’interprétation vise alors à « faire surgir un effet de vérité[1] » corrélatif d’un effet de sens, avec, à l’horizon, copulation du « sens avec le joui[2] » où l’analysant associe à l’infini. C’est l’analyse sans fin.

Dans sa « Conférence à Genève sur le symptôme » en 1975, Lacan aborde l’équivoque à partir du concept de lalangue ; avant même que l’enfant ne parle, l’eau du langage dans laquelle il baigne dépose des « détritus avec lesquels il va jouer[3] », créations langagières qui précèdent le sens, où résonnent les équivoques de la matière sonore. De là, poursuit Lacan, s’installe « la coalescence […] de cette réalité sexuelle et du langage[4] » ; « le symptôme comme événement de corps[5] » prend place dans cette résonance hors-sens. À partir de cette lecture, l’équivoque s’inscrit dans l’écart entre la parole et l’écrit. L’interprétation analytique, quand elle s’appuie sur l’équivoque, porte sur ce trou. Jacques-Alain Miller en relève la difficulté. Il ne s’agit pas de remplir ce trou par du sens, « l’interprétation, quand elle est du sens, loin de faire limite, elle illimite[6] ». Au contraire, le propre de l’équivoque, ajoute J.-A. Miller, « c’est justement de prendre les choses à contresens[7] ». La coupure de la séance qui fonctionne à contresens, à contre-pente, isole l’équivoque dans sa dimension hors-sens ; elle vise le réel de la jouissance en jeu dans le symptôme, celui de l’événement de corps.

La psychanalyse d’orientation lacanienne n’est pas un délire au service du sens, dans la mesure où elle prend comme fil rouge de la cure analytique l’événement de corps, en s’appuyant sur l’équivoque comme phénomène élémentaire[8] .


[1] Miller J.-A., « Le monologue de l’apparole », La Cause freudienne, n° 34, octobre 1996, p. 15.
[2] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 520.
[3] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n° 95, avril 2017, p. 14.
[4] Ibid.
[5] Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n° 44, février 2000, p. 24.
[6] Miller J.-A., « Le monologue de l’apparole », op. cit., p. 17.
[7] Ibid, p. 18.
[8] Cf. Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », L’Hebdo-Blog, n° 230, 7 mars 2021, publication en ligne (hebdo-blog.fr/linterpretation-a-lenvers-extraits/).

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