Les psys adorent qu’on les égratigne

Voutch est un dessinateur d’humour qui collabore depuis plus de trente ans à de nombreuses revues, telles que Le Point, Télérama, Lui, Lire, Playboy, Psychologies magazine, etc. Il a publié une quinzaine d’albums aux éditions du Cherche midi.
Dans ses dessins, il lui arrive fréquemment de mettre en scène des psys de tout poil avec leur patient, et c’est hilarant. C’est ce qui nous a donné l’envie d’aller le rencontrer.

Hélène de la Bouillerie : Que pouvez-vous nous dire sur le ressort du comique ? Quest-ce qui fait que cest drôle ? Que ça vous fait rire, vous ?
Voutch : Ouh là là ! En préambule, j’ai dessiné des psys, pas parce que ce sont des personnages qui me semblent drôles par eux-mêmes, mais parce que le dessin d’humour est un dessin de société, et les psys font maintenant partie intégrante des problématiques de la société. J’ai aussi dessiné des chefs d’entreprise, des cadres, des femmes éplorées, des séparations de couple, etc. J’ai assisté dans les années 2000 au succès des psychologies qui était un phénomène. On est passé de la psychothérapie médicale pour des gens qui avaient des problèmes extrêmement difficiles à vivre, à une psychothérapie de confort. On est passé à une sorte de gymnastique de la tête. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des gens qui souffrent énormément, mais c’était la tendance à cette époque-là. Je n’aurais pas osé me moquer des psys qui soignaient des cas graves, avec tout le pathos que cela peut comporter, ça m’a décontracté sur le sujet.

HdB : Donc plutôt comme un fait de société en lien avec une certaine consommation de l’époque ?
V. : Oui, une tendance qui s’est installée. Le raisonnement est toujours le même : puisque je fais du sport pour entretenir mon corps, il n’y a pas de raison de ne pas entretenir ma tête de la même façon. Le psy devenait un sujet beaucoup moins dramatique et donc je pouvais m’en moquer gentiment.

HdB : Pour vous, quel est le ressort de ce qui est drôle, comique ?
V. : Je botte en touche sur cette question. Il y a beaucoup de choses qui me font rire. L’absurde m’amuse beaucoup, mais mes dessins ne sont pas toujours absurdes. Si c’était très clair dans ma tête, je vous le dirais. Cela peut être amusant de différentes façons. Juste une exagération d’un truc pertinent, cela peut suffire. Je n‘ai pas de martingale, si je savais comment ça fonctionne, ça m’amuserait un peu moins !

HdB : Il me semble que trouver un sens aux choses absurdes qui nous arrivent, cest quelque chose de très présent dans votre travail…
V.
 : C’est présent dans tout dessin d’humour. Il y a ma vision personnelle du dessin d’humour, mais il y a autre chose qui appartient au genre lui-même.
Il y a une chose qui m’a toujours beaucoup amusé chez les psys, mais je veux parler des psys de confort. L’École de la Cause freudienne, ça doit être quelque chose de très très sérieux !

HdB : Ça nous arrive de rire des mêmes sujets que vous.
V.
 : J’ai deux choses à dire sur les psys. Il y a une chose qui m’a toujours amusé, c’est que les psys sont d’anciens patients. C’est quand même assez spécial, ça n’existe pas chez les électriciens, ni chez les architectes. C’est déjà une particularité étonnante du psy. C’était quelqu’un au départ qui n’allait pas bien, qui s’est posé des questions sur lui-même et après, qui est supposé savoir comment on fait quand on ne va pas bien. C’est un malade guéri, en fait ! J’ai fait plein de dessins sur cette idée-là.

La deuxième chose, ce sont des gens qui adorent qu’on se moque d’eux. Les psys adorent qu’on les égratigne et qu’on vienne les chatouiller sur leur savoir, leur capacité professionnelle. Ils adorent ça. Je ne sais pas comment interpréter cela, c’est assez curieux. Si on traite un psy de charlatan, plus ou moins, gentiment, ça va le faire beaucoup rigoler. 

HdB : Cela rejoint lidée qu’un roi qui se prendrait pour un roi serait bien fou. Le psychanalyste sait quil nest quun sujet supposé savoir. Sil pense quil sait vraiment…
V.
 : En tout cas, il doit y avoir un doute sur la réalité de ce savoir. Soit il y a un doute, et dans ce cas, une assertion qui dit « vous n’êtes pas ce que vous prétendez être », ça touche une corde sensible. On peut dire aussi que le psy doute de tout, y compris de sa compétence. Ça, c’est plutôt positif ! Il n’y a pas beaucoup de professionnels qui sont capables de faire ça.
Je pensais qu’il y aurait des réactions un peu vives, de temps en temps, j’ai fait deux ou trois dessins qui mettent les pieds dans le plat, et j’aurais pu m’attendre à des réactions outrées, des protestations, et pas du tout. J’ai toujours eu des retours très amusés, et même et presque contents que quelqu’un ait soulevé le sujet. C’est très particulier. Ils adorent qu’on se moque d’eux! Qu’on les traite de margoulins, ça leur plait…

HdB : Vous-mêmes, avez-vous un certain rapport avec la psychanalyse ?
V.
 : Sur les conseils d’un ami, j’y suis allé un peu par curiosité. Je n’étais pas en état de souffrance. J’ai fait une séance, et à la deuxième séance, il s’est passé un truc assez extraordinaire. Je suis allé voir le psy, j’ai sonné. Quand il a ouvert la porte, ce pauvre monsieur était complètement effaré, parce qu’il n’avait pas noté le rendez-vous. C’était un rendez-vous complètement raté en fait ! Je lui ai affirmé que j’avais bien rendez-vous, il a vérifié sur son carnet et, le pauvre, il ne savait plus où se mettre. Du coup, je n’y suis jamais retourné. Un rendez-vous raté chez un menuisier, ce n’est pas pareil. Est-ce que ça voulait dire qu’il ne voulait pas me voir, que c’était un acte manqué ?

HdB : Donc vous étiez allé sonner chez le psy plus par curiosité que par nécessité.
V.
 : Oui, c’était pour faire une expérience personnelle et c’est peut-être ça qu’il a senti. Que je n’étais pas du tout en attente de quelque chose de salvateur.