Pudeur et honte sont souvent confondues même si elles sont parfois liées. Ainsi, la honte peut affecter ou non celui ou celle dont la pudeur est mise à mal. Mais la honte peut aussi manquer, suite à un manque de pudeur.
Lorsqu’il s’adressa aux étudiants à Vincennes, c’est ce manque de honte que pointa Lacan chez ceux qui maintenaient avec force le discours de l’université.
Freud releva d’abord que la pudeur est une vertu[1] qui concerne de façon plus spécifique et précoce les femmes. Outre qu’elle masque le manque de l’organe génital, elle assume d’autres fonctions. Parmi celles-ci, il cite l’invention du tressage et du tissage par les femmes. Il mentionne également que la pudeur a pour fonction[2] d’être une barrière psychique contre l’excès de jouissance sexuelle.
En parallèle à la fonction du beau comme barrière, Lacan fit aussi de la fonction de la pudeur une barrière[3]. Il énonça que son omission en tant qu’elle a l’« appréhension directe de ce qu’il y a au centre de la conjonction sexuelle, [lui] paraît à la source de questions sans issue, et nommément concernant la sexualité féminine[4] ». La pudeur, en tant que branchée sur le non-rapport sexuel, s’avéra donc nécessaire à Lacan pour articuler ce qu’il en est de la femme.
S’il n’y a pas de rapport sexuel, la seule vertu pouvant répondre aux interrogations de Lacan, c’est la pudeur, elle aussi menacée de disparition. Ainsi, équivoque-t-il entre les non-dupes errent, titre de son Séminaire, et les non-pudes errent[5].
S’interrogeant sur la place du bien, il fit de la pudeur la seule vertu gouvernant le bien-dire propre au discours analytique. « Ça choque, ponctue-t-il, mais ça ne viole pas la pudeur.[6] » On peut dire, comme il en va pour l’honneur, autre vertu que Lacan lie au discours de l’analyste, que la vertu est sauve via le bien-dire.
Ce qui peut donc faire outrage et annuler cette fonction qu’est la pudeur est de l’ordre du dit ou de l’action, comme le lance Hamlet à sa mère en l’accusant d’« une action qui flétrit toutes les grâces de la pudeur[7] ». Tout dire, tout montrer, tout agir, ressortirait au défaut de pudeur et gommerait toute différence, certes celle entre homme et femme, mais aussi celle qui a cours, pour le sujet, entre ce qu’il dit et le dire qui peut s’y entendre. C’est sur cette différence que parie le discours de l’analyste.
[1] Freud S., « La féminité », Nouvelles conférences de psychanalyse, Paris, Gallimard, p. 174.
[2] Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 99, 101 & 118.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 345.
[4] Ibid.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 12 mars 1974, inédit.
[6] Ibid.
[7] Shakespeare W, Hamlet, traduction Le Tourneur, Le Puy, chez Carnets-Livres, MMVIII, Acte III, scène XIX, p. 220.