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Dora, une phrase, une gifle

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En 1899, quand Dora est adressée à Freud par son père, elle souffre de symptômes somatiques, d’un état de tristesse. Elle se montre spécialement désobligeante envers son père, qui demande surtout au psychanalyste de la remettre « dans la bonne voie1 ». Freud n’en fera rien. Il l’invite plutôt à prendre la parole. Dora dénonce alors une « amitié intime2 » avec le couple K, dans laquelle elle se situe comme objet d’échange entre son père et M. K. Elle consent à ce quadrille jusqu’à ladite scène du lac, moment où M. K lui fait une déclaration. Elle exige alors de son père qu’il cesse toute relation avec Mme K, ce à quoi il se refuse.

Une phrase clef
Freud encourage la jeune fille à préciser ce qui a fait trauma : « Je voulais savoir quels termes [M. K] avait employés ; elle ne se souvint que de cette explication : “Vous savez que ma femme n’est rien pour moi”3 ». Dora reste silencieuse, gifle M. K et s’enfuit.
Freud fait de cette phrase la clef de l’énigme, d’autant qu’il la retrouve énoncée par le père au sujet de la mère et adressée par M. K à la gouvernante, qu’il essaie de séduire. Qu’est-ce qui dès lors a marqué Dora dans cette phrase, au point de provoquer la recrudescence de ses symptômes ?
Freud repère que l’homéostase fantasmatique trouvée par Dora dans le manège à quatre s’effondre quand Mme K perd sa place par la phrase de M. K. Les places de chacun ne tiennent plus et, confrontée au désir de M. K dans la réalité et non plus le fantasme, Dora se dérobe.

Levée de voile
Le pas supplémentaire de Lacan dans sa lecture du cas Dora permet de l’appréhender du côté de l’énigme du féminin. La question du sujet hystérique tourne autour du manque de signifiant pour dire La femme : « Qu’est-ce qu’être une femme ?4 » L’hystérique « promeut le point à l’infini de la jouissance comme absolue5 » : elle voudrait faire exister un Autre absolu, en place d’exception, sous la forme d’un père idéalisé ou de La femme.
Cette perspective permet de situer Mme K non comme rivale, ni comme objet d’amour, mais précisément comme l’Autre femme. L’admiration pour Mme K chez Dora, fascinée par la « blancheur ravissante de son corps6 », en témoigne. Elle tente d’accéder par procuration à un savoir sur la jouissance féminine, maintenant ainsi son propre désir insatisfait.
Cette phrase marquante, qui ravale Mme K aux yeux de Dora, déchire le voile du fantasme. Dora se retrouve face à sa propre question, confrontée à l’énigme de son désir et au « mystère de sa propre féminité7 », avec comme seule réponse la gifle.

1 Freud S., « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 16.
2 Ibid., p. 15.
3 Ibid., p. 73.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 197.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 335.
6 Freud S., « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) », op. cit., p. 44.
7 Lacan J., « Intervention sur le transfert », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 220.

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