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L’insulte

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Parmi les phrases qui impactent celui qui en est le récepteur, il y a l’insulte. L’insulte diffère de l’injure, qui, directe ou allusive, se réfère au droit (jus, juris en latin) et suppose que l’on puisse porter plainte en justice. L’insulte (du latin insultare : sauter sur, dans, contre) est une notion floue quant à sa détermination juridique. Elle n’en est pas moins un performatif qui, selon Lacan, est « à la base des rapports humains[1] ».

Performatif
Comment la qualifier ? Une insulte ne désigne pas une classe[2]. Au mieux, certaines sont rituelles[3], d’autres peuvent constituer un jeu de rôles. Toute nomenclature des insultes, sophistiquées ou grossières, laisse pantois[4]. Auto-insulte, vocatif ou insulte généralisée en veux-tu en voilà, l’insulte est un acte de parole, qui vise l’être.

À la base des rapports humains
En quoi est-elle « à la base des rapports humains » ? Elle surgit lorsque le logos défaille, et vient à la place du trou de l’indicible, le plus souvent accompagnée du regard ou de la voix. « L’insulte, c’est pas l’agressivité[5] », dit encore Lacan, « c’est tout autre chose, l’insulte c’est grandiose ». Il fait alors référence à Homère : le tout début et la fin de l’Illiade sont en effet constitués des insultes qu’adresse Achille à Agamemnon d’abord, puis à Hector mourant[6]. Malédictions « grandioses » d’un Achille libre de tout ! Et d’ajouter : « Départ, n’est-ce pas, de la grande poésie ».
Lacan précise : « Chacun prend son statut des insultes qu’il reçoit[7] ». Avons-nous donc tous subi des insultes ? Même si nous avons été des enfants désirés ? Désiré ou pas, c’est du pareil au même. Il y a malentendu dès que l’être parlant copule et l’enfant n’est qu’objet a, « résidu[8] » du malentendu de la copulation.

Frappe singulière
C’est dans lalangue de l’Autre, faite de signifiants Uns saisis dans leur contingence, que vient de façon énigmatique se faire entendre l’insulte, et dans le corps que sa frappe singulière s’éprouve. Ainsi, les mots doux, berceuses de l’enfance peuvent se révéler empoisonnés et il s’avère qu’une exclamation agacée de la vie courante, telle Tu es bête !, peut prendre valeur d’insulte glaçante pour un sujet : « Voilà donc ce que je suis ! » Même révolté, le sujet qui reçoit l’insulte en éprouve l’impact et y croit. L’insulte en tant qu’elle prend la place du nom propre d’un sujet se révèle indéniablement marquante.

Nom d’objet
N’importe quel terme commun peut dès lors prendre valeur de nom propre. L’être du sujet serait ainsi nommé par la parole « incasable » de l’Autre. Nommé comme objet a inassimilable à une chaîne signifiante, objet a rejeté de l’Autre, et cela même sans hallucination. « L’insulte, c’est l’effort suprême du signifiant pour arriver à dire ce qu’est l’autre comme objet a[9] », formule Jacques-Alain Miller.
Mais comment « chacun » en prend-il « son statut » ? C’est qu’une insulte reçue comme telle dans l’enfance, marquante donc, est tôt ou tard interprétée par et dans la phrase construite d’un fantasme, ou infiltrée dans le sens-joui des signifiants d’un symptôme. Sa marque, distincte, n’en reste pas moins occultée par le hiatus de la série signifiante.

[1] Lacan J., Lacan in Italia. 1953-1978 (En Italie, Lacan), Milan, La Salamandra, 1978, p. 90-91.
[2] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analyses », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 6 décembre 1989, inédit, citant J.-C. Milner (De la syntaxe à l’interprétation. Quantités, insultes, exclamations, Paris, Seuil, 1978).
[3] Comme dans certaines sociétés primitives, afin d’éviter les conflits.
[4] Cf. Delachair E., Legendre Y., L’art de l’insulte : une anthologie littéraire, Paris, Poche 10/18, 2012.
[5] Lacan J., Lacan in Italia., op. cit., p. 90.
[6] À Agamemnon au Chant I : « Sac à vin, œil de chien, cœur de cerf » Et à la fin du Chant XXII, à Hector mourant par le glaive d’Achille « Chien ! ».
[7] Lacan J., Lacan in Italia., op. cit., p. 91.
[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La logique du fantasme, Paris, Seuil, 2023, p. 370.
[9] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analyses », op. cit., cours du 6 décembre 1989.

 

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