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Paroles oraculaires

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Il est des phrases qui prennent valeur d’oracle, un oracle d’après-coup qui ne pourra se lire que grâce à une analyse.

Ainsi la psychanalyse peut-elle révéler que, d’une simple parole entendue, on a fait son destin. Ces paroles oraculaires auront pu être prononcées dans l’enfance, au seuil de l’âge adulte, à l’aube de la vie. Dites au-dessus du berceau de celui qui les reçoit ou avant même sa venue au monde, elles n’en auront pas moins imprimé leur sceau. Car bien sûr, comme chaque analysant le découvre, le fait que nous soyons parlés avant notre naissance a quelques conséquences.

 

Ça parle de vous

Ces paroles vous ont été adressées directement ou par personne interposée, ou bien vous les avez entendues incidemment au décours d’une conversation à laquelle vous n’étiez pas convié : peu importe, ça parlait de vous. Indépendamment de leur provenance et de l’âge auquel vous les avez entendues, vous avez reconnu qu’elles venaient de l’Autre et vous concernaient ; elles vous ont visé ou, au moins, éclaboussé, laissant sur vous une empreinte indélébile. Honteuses, flatteuses, blessantes, impudiques, encombrantes, traumatiques, injonctives, inhibitrices, énigmatiques, quelle qu’en soit la teneur, elles ont touché une jouissance intime et c’est en cela qu’elles vous ont marqué.

 

Que faire de ces paroles en analyse ?

Certains s’épuisent à leur donner raison, d’autres à leur donner tort. S’efforcer d’y échapper n’enlève rien au pouvoir du dire augural. Ceux-ci s’en sustentent, ceux-là s’obstinent à tenter de résoudre le mystère qu’il dissimulerait. Une fois l’oracle prononcé, encore reste-t-il à le déchiffrer ! L’analyse vous fera-t-elle découvrir la vérité cachée entre les lignes déjà tracées ? Obtiendrez-vous le vrai sur le vrai ?

Si elle vous accompagne inlassablement, vous n’aurez d’autre choix que de tourner autour de la phrase oraculaire et, par la grâce du transfert, vous tisserez alors une histoire qui s’en nourrira, puis se réduira sans jamais pour autant dire son dernier mot. Le fantasme qui se construira dans l’analyse en portera certainement la griffe.

Ces paroles peuvent apparaître dès la première séance et poser l’hypothèse de la cause d’une répétition inconsciente et opaque. Parfois complètement oubliées, c’est l’analyse qui, au décours d’une séance, les révélera. Un rêve, un lapsus, un événement contingent, les fera surgir et, une fois relevées, il s’agira, dans le travail analytique, de rendre compte de la valeur qu’elles auront prises pour vous. Quand elles vous échappent dans l’association libre, elles vous surprennent et parfois font interprétation par leur seule énonciation. Ou bien c’est l’analyste qui, tel le lion qui bondit sur sa proie1, les attrapera et, par-là, en révélera l’importance. Vous pouvez aussi vous étonner qu’une phrase apparemment banale ait eu un tel impact sur votre vie. Le chemin peut être long pour parvenir à faire cesser l’infatigable répétition qu’elle aura entraînée. Quel élément vous a précisément touché ? Pourquoi lire cette phrase comme un présage si difficile à déjouer ? Seule une analyse permet de mesurer la puissance d’un dire.

Ces paroles qui vous concernent intimement et ont pris valeur d’oracle, qu’ont-elles produit ou empêché ? Quel malentendu recélaient-elles ? Quelles conséquences insoupçonnées ont-elles eues sur votre vie ? Les avez-vous suivies à la lettre, ou bien vous êtes-vous acharné à vous en débarrasser tandis qu’elles vous collaient à la peau ? Comment vous en déprendre, vous en extirper, leur faire perdre leur pouvoir ?

 

Minuscules, terribles, anodines…

Un petit rien a pu être dit, ou bien ce sont des mots terribles qui vous ont frappé. Même les mots les plus doux peuvent produire de grandes vagues, et parfois conditionner toute une vie.

Certaines phrases, comme des flèches bien tendues, nous visent et nous atteignent en plein cœur. « Tu es ceci », « Tu seras cela » : une simple nomination peut en dire long et planter sa graine pour l’existence. Celles-ci assignent à une place : « Tu feras ainsi toute ta vie », « Ne fais jamais comme moi, comme ton père… », « Tu n’y échapperas pas » ! Avec un air plus inoffensif, celles-là désignent une identification à laquelle il faudrait se soumettre ou échapper absolument : « Tu me ressembles tellement », « Tu es le portrait craché de notre ancêtre regretté », « Elle ressemble au voisin », « Tu étais si laid ! », « Si beau ! », …

La plupart donnent bien des indices sur le désir de l’Autre : « Tu es un miracle », « Une catastrophe », « Tu nous as fait tellement peur ! ».

 

Une signature du réel

Certaines paroles énigmatiques ne se révèlent oraculaires qu’à la faveur de l’analyse, elles nous poussent à en faire sourdre la vérité. Mais la vérité varie, elle masque, voile le réel. « Il y a de grands obstacles à ce qu’on dise la vérité, ne serait-ce qu’on se trompe dans le choix des mots. La vérité a affaire avec le réel et le réel est doublé, si l’on peut dire, par le symbolique2. » Le sens ne cesse de s’insinuer dans le discours, il glisse et rebondit, se faufilant au gré de l’association libre. Un jour il semble fixé, le lendemain il nous amène à explorer une contrée nouvelle. Aliénés par les signifiants fondamentaux qui ont imprimé leur marque indélébile, il nous faut d’abord reconnaître ces S1, admettre que nous les avons faits nôtres avant de parvenir à nous en détacher. Alors, triturées jusqu’à plus soif, réduites à presque rien, à quelques signifiants hors sens, les paroles oraculaires qui ont pu nous frapper jusque dans notre chair, n’apparaissent plus qu’éclaboussures du réel.

« Le langage, ça n’existe pas. Il n’y a que des supports multiples du langage qui s’appellent lalangue, et ce qu’il faudrait bien, c’est que l’analyse arrive […] à défaire par la parole ce qui s’est fait par la parole3. » L’analyse a aussi le pouvoir de désactiver la puissance mortifère de certaines paroles dévastatrices. Elle introduit du jeu dans ce qui apparaissait immuable, fixé pour toujours.

 

Hors champ

Il est aussi de ces phrases qui, pendant de longues années d’analyse, n’entrent pas dans le dispositif, elles ne sont ni oubliées, ni refoulées, ni écartées. Certains Analystes de l’École ont pu témoigner de paroles fondatrices restées pourtant à l’extérieur de la chaîne associative, hors du champ du savoir jusqu’à la toute fin. Mais en quoi peuvent-elles être considérées comme oraculaires ? Apparues de façon contingente, soudaine, elles viennent éclairer, par rebroussement, tout le trajet analytique, dégageant ainsi la marque au fer rouge qu’a laissée la parole de l’Autre sur le corps.

Coupé du symbolique, pur réel débarrassé des scories de l’hystoire, trognon, ce réel déjà-là, réduit à l’os du sinthome, n’en est pas moins une production de l’analyse.

1 Cf. Freud F., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome II, trad. fr., Paris, PUF, 1985, p. 234.
2 Lacan J., Le séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 15 novembre 1977, inédit.
3Ibid.

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