Ce jour-là, en analyse, la parole tourne autour du dégoût… Une sensibilité au parfum s’énonce. Agréable bord de la jouissance pouvant vite virer à l’écœurement. L’association court de l’immonde odeur de lavande de ma grand-mère à la confidence maternelle concernant le dégoût qui, dès qu’elle fut enceinte de ma petite sœur, la saisit et fit qu’elle ne put jamais plus supporter son parfum.
L’analyste intervient, et j’entends : « Odore di femina ».
Inédit
Découpe. Arrêt de l’association. Instant fugace de suspension, appuyé juste après par l’arrêt de la séance.
Je ne comprends pas, même si un sens se devine déjà à l’horizon.
Phrase marquante, assurément.
Il faut dire que l’analyste avait ponctué : « Vous qui aimez les femmes, vous associez le dégoût aux odeurs de femmes. On va s’en souvenir. » Mais ce n’est pas cela qui a marqué. « On va s’en souvenir » se lit plutôt après-coup comme : on va se souvenir de la résonance de l’interprétation. Pourtant cet ajout a toute son importance, qui leste le bout de réel dans le contexte d’un nouage subjectif hors duquel, par définition, il ne peut prendre consistance et donc se maintenir.
Dégoût, odeur, amour
« Odore di femina » s’inscrit sur un continuum qui va du dégoût au goût, et retour. Or, « [l]e dégoût apparaît […] comme la marque de l’a-version de la langue à accueillir la jouissance comme sexuelle », nous indique Jean Luc Monnier1. Le goût viendrait-il alors comme version possible, savoir-faire avec cette a-version ? D’ailleurs, peu après, la phrase revient lorsque j’écris : « adore di femina ». Le o est devenu a. L’amour… adoré… vient faire son office de voile.
Ce n’est que bien plus tard, lorsque je reparlai en analyse de cette phrase, que l’analyste dit : « C’est odor !2 », et pas odore…
L’inconscient avait donc interprété… au carré. La phrase marquante (« odor di femina ») est celle, asémantique pour le parlêtre, qui vient toucher sa corde et faire résonner son plus singulier. Aussitôt entendue, elle est déjà recouverte une première fois par la recherche d’un sens particulier (« odore di femina »), puis une seconde fois, dans le lapsus calami (« adore di femina »).
Dans ce trajet, c’est tout un pan de la particularité du nouage du parlêtre qui se dessine, avec la manière dont la dorure phallique et l’amour sont venus traiter, d’une part, le rapport à la béance originelle et, d’autre part, la jouissance sur son versant d’horreur, logée dès l’abord du côté maternel. C’est aussi, en sens inverse, le mouvement de la cure via l’interprétation, qui permet de traverser le nouage particulier, pour rendre sensible ce qu’il enserre de singulier3.
« Odor di femina », venu de l’analyste, hors de la trame des signifiants du parlêtre, hors de sa langue, hors du sens et des déclinaisons auxquelles il a donné lieu, situe la trace d’une découpe et d’un accès.
Reste : ne m’offrez jamais de lavande !
1 Monnier J. L., « Le dégoût chez Freud », NLS Congress 2021, disponible sur internet.
2 Cf. « Odor di femina » : Lacan J., « Le séminaire sur “La Lettre volée” », Écrits,Paris, Seuil, 1966, p. 35.
3 Cf. Lacan J., « Intervention à la suite de l’exposé d’André Albert dans le cadre des journées d’étude de l’École freudienne de Paris », École de Chimie. Publié dans les Lettres de l’École freudienne, n°24, 1978, p. 22-24, disponible sur internet.