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Du retour des oracles ?

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Une parole prononcée à la naissance ou avant la conception peut avoir fonction d’oracle, infléchir ce qu’accomplira l’enfant ou ce à quoi il devra échapper, et marquer un destin. Tel est l’aspect performatif des phrases marquantes, qui aboutissent à créer ce qui est annoncé. C’est ce qu’enseigne la clinique périnatale.

Au risque de n’être
Naître est au risque de « n’être[1] ». Sera-t-il ou ne sera-t-il pas ce qu’on a imaginé ? Parfois une naissance se révèle avoir été insupportable aux parents. Un destin s’est joué dès avant la venue au monde. Peut-on y accéder ? On comprend la fascination pour les horoscopes.
D’ailleurs, l’oracle en lui-même était-il vraiment une phrase marquante ? Pour Héraclite, il « ne dit ni ne cache, il signifie ». Il signifie, il fait signe. Reste à l’interpréter. Or la Pythie pratiquait l’équivoque : « En attaquant les Perses, tu détruiras un grand empire[2]». Méprise de Crésus : l’oracle parlait de son propre empire.
À partir de l’oracle, on peut donc se tromper sur l’avenir. L’oracle prédit à Œdipe qu’il tuera son père et couchera avec sa mère. Pour y échapper, il quitte le lieu qu’il pense être celui de son origine. Mais en fuyant la prédiction, il l’accomplit. À la croisée des chemins, il tue Laïos, son père. Il résout l’énigme de la sphinge, et on lui offre comme femme la reine Jocaste, sa mère. Tout n’est que méprise. La tragédie d’Œdipe, du meurtre et de l’inceste, est aussi celle de la méconnaissance qui nous habite, peut-être d’autant plus qu’on est sous l’emprise d’une phrase marquante quant à son avenir.

Équivoque vs probabilité
Plutarque, prêtre d’Apollon à Delphes, avait pourtant annoncé la disparition des oracles. Disparition et réapparition de l’oracle ? Qu’en est-il ? Jacques-Alain Miller précise que « la psychanalyse a su faire revivre la parole des oracles » en un temps particulier, l’« âge de la science »[3]. Oppose-t-il la psychanalyse, nouveau lieu de l’oracle, à la science comme lieu de sa disparition ? Ou bien s’agit-il d’un parallèle à faire entre l’oracle et la science ?
La prédiction génétique peut-elle être vue comme une forme contemporaine de l’oracle ? Ou faut-il au contraire les opposer ? L’oracle prédisait l’avenir. La prédiction génétique dit d’abord le passé : elle met en évidence une détermination génétique venant des générations précédentes qui pourrait s’actualiser dans l’avenir. Elle vise à prédire l’impact du passé dans l’avenir. Elle lit l’avenir dans le passé, remplaçant l’équivoque par la probabilité.

S’extraire de l’oracle
Si la prédiction génétique a remplacé l’oracle, elle n’a supprimé ni le hasard, ni l’incertitude du devenir, ni la possibilité du sujet d’inventer ses propres réponses. Si l’on pense pouvoir prédire l’enfant[4], la prédiction ne résorbe pas l’avenir. Aussi, d’un avenir par trop marqué d’une phrase, il s’agit de s’extraire. « Ton frère l’aurait fait », n’a cessé d’entendre un enfant, jamais à la hauteur de son jumeau, mort à la naissance dans la lumière des soins intensifs et idéalisé par sa mère. Comment dégager cet enfant de sa prise dans son histoire, du « futur antérieur de ce [qu’il aura] été pour ce [qu’il est] en train de devenir [5] » ?

[1] « Le désir se construit sur le chemin d’une question qui le menace, et qui est du domaine du n’être, que vous me permettez d’introduire ici avec ce jeu de mot » (Lacan J., Le Séminaire, livre IX, « L’Identification », leçon du 28 mars 1962, inédit).
[2] Delcourt M., L’Oracle de Delphes, Paris, Payot, 1981, p. 105 ; Héraclite cité p. 103.
[3] Miller J.-A, « L’orientation lacanienne, Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 13 novembre 2002, inédit.
[4] Ansermet F., Prédire l’enfant, Paris, PUF, 2019.
[5] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 300.

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