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Phrases lues sous transfert

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Les phrases marquantes font le relief d’une psychanalyse. Leur reconnaître une place particulière dans le cours d’une analyse, les identifier, en saisir l’énigme ou la répétition invariable, et les extraire, fondent l’acte analytique. Comment procède le psychanalyste pour les sortir du flot des signifiants ? Quelles conséquences a leur mise en exergue ? Sont-elles admises ou refusées ? Certains patients ne veulent rien savoir des morsures du signifiant dans leur inconscient, comme Freud le repère. Il épingle du terme de résistance le mouvement du patient qui s’emploie à faire obstacle à l’inconscient, puis l’envisage sous l’angle de la réaction thérapeutique négative1 – le patient ne veut pas guérir – et du transfert négatif2 comme mise en acte de l’horreur de savoir3. Quand l’intervention de l’analyste vient déranger la défense, s’ouvre une brèche vers une nouvelle position dans le savoir. Comment dès lors accuser réception de cet effet pour le sujet ?

Phrases relues
Le paradoxe du titre des 54es journées de l’École de la Cause freudienne vient justement du fait que les phrases dites au décours des séances sont prises dans le déroulé de la signification. Elles veulent dire quelque chose. Elles sont même le plus souvent banales, ce qui renforce leur effet de réalité. Elles font entendre l’Autre auquel le parlêtre a affaire. Elles résonnent avec le fait qu’être sujet de sa parole implique d’être assujetti aux signifiants de l’Autre, ce qui donne à la psychanalyse son poids de symbolique, dès lors qu’elle en prend acte.
Les phrases marquantes sont déjà là, ou bien retrouvées, ou encore re-signifiantisées et rétablies dans la chaîne signifiante. Parfois encore, elles vont être relues et réinterprétées dans l’outrepasse. Elles s’entendent autrement dès lors qu’elles sont dites sous transfert. Le langage se fait lalangue. Il fragmente les dits ou les attache – une phrase se lit en détachant les mots ou en liant des syllabes – pour en faire entendre un autre sens, ouvrir une brèche dans la signification ou prendre acte de leur conséquence.
À l’analyste revient le devoir d’insuffler que la psychanalyse n’est pas toute dans le sens ou le passé (les deux se conjoignent). Elle détecte le malentendu ou le sous-entendu, voire le tyrannique « trop entendu », pour entamer le surmoi qui plonge le sujet dans l’insu-pportable d’une jouissance qui le paralyse, le soumet, le sacrifie, le persécute… ou le déchire, faisant de la marque laissée une énigme à déchiffrer.

Phrases enracinées
Certaines phrases de l’enfance restent inoubliables. Elles font trou dans le symbolique. Par exemple, elles entament la croyance qu’a l’enfant d’être toujours le plus ou le moins aimé de l’un de ses parents. Petites phrases assassines qui touchent à l’être. Cela veut dire que la jouissance de l’Autre, prompte à dénigrer, se moquer ou, à l’inverse, survaloriser l’enfant, l’atteint et fera le lit de ses pensées ou de son symptôme. De telles phrases peuvent aussi être dites par un camarade, des professeurs ou des tiers qui jouissent de jeter à la figure des enfants des paroles leur promettant le pire. La clinique en donne de multiples exemples. L’important, c’est d’en repérer les conséquences : la résonance qu’elles ont eue, les effets dans le corps, dans le lien à l’Autre, les marques de jouissance qui en découlent. D’être pris dans le désir de l’Autre détermine les effets de discours qu’un sujet peut entendre et reconnaître comme des événements qui l’ont marqué.

Phrases manquantes
Quel statut donner à ces phrases jamais dites ? Pourquoi seraient-elles marquantes ? Elles le sont par l’oubli qui les cause. Quand on vous oublie, quand on ne vous nomme pas, qu’on ne vous appelle pas, quand on ne vous dit pas quelque chose d’important, la portée du non-dit vaut comme phrase marquante in absentia. Ce sont les mots qui manquent. Leur absence indique, dans l’après-coup, qu’ils auraient répondu à une attente du parlêtre. C’est dans le conditionnel passé de l’hystorisation d’une analyse qu’on peut les déceler : « Si mes parents m’avaient dit… » Ce sont les phrases de la protection et de l’amour, dans sa fonction de reconnaissance notamment, qui manquent à leur place : « Il ou elle ne m’a pas dit qu’il ou elle m’aimait ». Ce manquement signale la phrase dans sa dimension de faille, voire de faute. Elle est cause de la position d’objet a d’un sujet. On en retrouve les effets dans les états dépressifs ou plus encore mélancoliques, quand l’identification à l’objet a comme déchet s’y précise. L’analyste doit alors prendre acte de cette position et tenter d’en border les effets.

Phrases déconnectées
D’autres phrases encore ne sont pas connectées à la percussion qu’elles ont laissée dans le corps, pour l’analysant. Il y a une étanchéité des mots et du corps qu’il s’agit, dans l’analyse, de déjouer, de percer, d’enserrer. L’impact de la phrase percute le corps, provoquant un symptôme.
La répétition semble être, à ce niveau, le concept qui répond à la question : quels sont les effets dans le corps de ces phrases marquantes mais déconnectées pour le parlêtre ? D’autres questions se poseront : Sont-elles cause de l’écho d’un dire dans le corps ? Qu’est-ce qui reste fixe, invariable, et fait sinthome ?
La valeur interprétative de ces phrases est sans doute la marque de ce qui s’en extrait. La dénégation est souvent relevée : « Je n’aurais pas voulu de garçon », dit une mère à sa fille homosexuelle… La forme affirmative n’est pas non plus sans faire déni dans certains cas : « Tu as le même regard que ton père » s’entend à l’occasion comme une phrase insupportable, implicite d’un rejet du père comme de l’enfant qu’il a engendré.

Phrases écrites
Enfin, certaines phrases sont prélevées dans les nouvelles formes d’échanges propres aux réseaux sociaux. Elles touchent de trop près à l’intimité des sujets, ou s’entendent comme des insultes qui les affectent. Certains messages les visent par des nominations qui les réduisent à peu. Les phrases qui interprètent le sujet dans sa position sexuée, dans ses modes de jouir, son image, ses choix, etc. font des dégâts. Les disputes, les ruptures amoureuses en témoignent, comme si l’absence des corps facilitait un dire pris dans la dimension d’un acte marqué d’une certaine lâcheté.
Il est frappant que de jeunes analysants disent avoir parlé avec leur interlocuteur alors que nous découvrons que toute la discussion s’est tenue par écrit. La parole des SMS s’écrit. Elle reste. L’impact de ces phrases interroge. Les lire les rend traçables. Les effacer ne suffit pas à les oublier. Elles sont donc plus lettres que paroles… Elles le sont d’autant plus que les dialogues sont souvent partagés, ce qui laisse apercevoir leurs effets toxiques sur chacun, entendues qu’elles sont comme des vérités ou, plus encore, des vérités honteuses, brutalement révélées. Le corps porte l’empreinte de leur marque, qu’écrit le symptôme, à lire avec le savoir du psychanalyste.

 

1 Cf. Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 258.
2 Cf. Freud S., « La dynamique du transfert », La Technique psychanalytique, Paris, PUF, 1953, p. 58.
3 Cf. Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 309.

 

 
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