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Aimez-vous les devinettes?

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« Ce mot de devinette, il faut dire que ça ne fait pas sérieux. C’est comme trottinette1 ». Pourtant, « c’est important, les devinettes ». « Il y a beaucoup à apprendre » dans les « recueils de devinettes2 », beaucoup à en apprendre sur la dimension de l’énigme, et donc du sens.

Dans son cours « La fuite du sens », Jacques-Alain Miller s’arrête ainsi sur les devinettes. Il souligne d’abord « ce que la devinette ajoute de désangoissant, de chatouillette3 » à l’énigme. Une bonne devinette a en effet quelque chose de réjouissant de faire de l’énigme un jeu astucieux. 
Voilà un mouvement, en effet, bien utile si l’on considère que l’énigme, dans le fond, c’est un problème. Problème ? Est-ce à dire que l’énigme serait « un signifiant sans signifié4 », un signifiant qui ne signifie rien, comme un mot dans une langue étrangère. Ça laisse plutôt le souffle court.

« Au contraire, l’énigme, c’est un signifiant avec signifié5 ». Par exemple6 : « Qui a écrit : “Rien de plus beau aux yeux d’un crapaud que sa crapaude aux gros yeux sortant de la tête”7 ? ». Ou encore : « Où Lacan a-t-il dit : “Si on l’exigeait de moi, je consacrerais tout mon séminaire de l’année prochaine au thème du mime et de la Psychanalyse”8 ? » « L’énigme existe à l’état déchiffré […]. Une fois que vous avez compris le texte de l’énigme, c’est là que l’énigme commence […]. C’est précisément parce que je comprends l’énoncé, le texte de la question, que je m’aperçois que je ne sais pas donner la réponse qu’on attend9 ».

Pierre Skriabine, invité par J.-A. Miller, dans ce même séminaire, à une recherche sur les devinettes russes, précise que « [c]’est justement parce que c’est une devinette qu’on suppose que ça veut dire quelque chose, et que, à partir de ce moment-là, ça fait énigme10 ».

Il y a donc ici plusieurs dimensions.
Premièrement, « pour qu’il y ait énigme, il faut au moins, cette énigme, qu’on puisse […] la lire, l’entendre, la comprendre, comprendre le problème, la difficulté qu’elle propose », et pour cela, il convient qu’elle soit « claire dans sa formulation11 ». 

Deuxièmement, cette formulation est précisément ce qui permet, cette énigme, de « la situer ». C’est cette capture, cette saisie, qui permet que le problème existe, en le situant comme lieu. Quel est ce lieu ? C’est la « dimension de non-savoir » d’où surgit la « coulée » du sens, sa « détalade », sa « fuite ». Ainsi, du couple signifiant-signifié, se déduit quelque chose qui lui, ne fait pas la paire, et ce quelque chose est précisément ce que Lacan appelle le sens. À rebours, ceci nous permet même de considérer que ce couple est strictement ce « petit appareil » qui prétend « enserrer », « engeôler le sens, le mettre en prison sous forme de signifié ». Enfin, qui prétend, parce que dans le fond, le sens continue de fuir, « le sens, on ne l’attrape pas ». Non seulement il « n’est pas intelligible », mais il a trait au « sensible12 ».

Et c’est bien là le troisièmement point : une bonne devinette tient en effet à ceci qu’elle situe une énigme, en termes sensibles, si je puis dire. Elle nous retient, nous frappe, nous arrête ; elle crée la surprise, l’intrigue, voire un dérangement. Le corps est de la partie, quelque chose vibre.
Une devinette trace le contour d’un « trou » « par où le sens fuit », trou que, si elle est de bonne facture, elle « ne bouche ni ne voile13 ». Voilà pourquoi Lacan situe l’énigme comme « un art que j’appellerai d’entre les lignes », un art qui situe ce qu’il y a entre les lignes, « pour faire allusion à la corde14 ».

Pourquoi s’arrêter sur les devinettes ? Cela s’impose quand on prépare les Journées de l’École de la Cause freudienne sur « Le comique dans la clinique » ! Mais plus encore si l’on considère l’énigme au fondement de la psychanalyse. « L’analyse, c’est ça », nous indique en effet Lacan. « C’est la réponse à une énigme, et une réponse, il faut bien le dire […], tout à fait spécialement conne. C’est bien pour ça qu’il faut garder la corde. Je veux dire que, si l’on n’a pas l’idée d’où ça aboutit, la corde, soit au nœud du non-rapport sexuel, on risque de bafouiller15. »

  1. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La fuite du sens », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 17 janvier 1996, inédit. ↩︎
  2. Ibid., cours du 29 novembre 1995. ↩︎
  3. Ibid. ↩︎
  4. Ibid. ↩︎
  5. Ibid. ↩︎
  6. Devinettes proposées par Laura Sokolowsky dans le cadre de la diffusion des J55. ↩︎
  7. Stendhal, Racine et Shakespeare. Études sur le romantisme, Paris, Michel Lévy Frères, 1854, p. 107. ↩︎
  8. Phrase de Jacques Lacan citée dans Le Rapport Turquet, Paris, L’unebévue éditeur, 2014, p. 60.  ↩︎
  9. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La fuite du sens », op. cit., cours du 29 novembre 1995.  ↩︎
  10. Ibid., cours du 20 décembre 1995. ↩︎
  11. Ibid., cours du 29 novembre 1995. ↩︎
  12. Ibid. ↩︎
  13. Ibid. ↩︎
  14. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 68. ↩︎
  15. Ibid., p. 72. ↩︎

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