Rions !

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Quoi de commun entre Le Père Noël est une ordure, Charlie Chaplin, Blanche Gardin ou un sketch des Inconnus ? Ils font rire – ce qui définit le comique – et plus précisément, ils sortent des codes – langagiers notamment –, dérangent la signification et font jeu des corps, à grand renfort de mimiques et contorsions. Et nous rions.

Produire le comique et en jouir sont à distinguer. Le comique – c’est mon hypothèse –, tout comme le mot d’esprit, est une création, le résultat d’une opération de production. Qu’il modifie le sens ou dénude le non-sens, procure un gain de lucidité ou la chute soudaine d’un semblant, il s’accompagne toujours d’un effet de création, de coupure, de changement de registre, de franchissement. Si ce qui apparaît suscite de la gaité, ce ou ces rires authentifient qu’il y a eu production d’un événement comique. Lorsqu’il surgit, il mobilise le corps tout en séduisant l’intellect, procurant un affect de joie qui peut aller jusqu’au rire, ce qui selon Jacques-Alain Miller « renforce le sentiment de l’énergie vitale1 ».

Si l’objet comique divise le spectateur il n’y aura ni rire ni joie. Ce qui est comique et comble l’un peut n’être qu’angoisse pour l’autre. Lacan nous l’apprend avec l’anecdote fameuse de « la boite à sardine » : « si la vérité du sujet […] n’est pas en lui-même, mais, comme l’analyse le démontre, dans un objet, de nature voilé – le faire surgir, cet objet, c’est proprement l’élément de comique pur2 ». Dans ce cas, le marin Petit-Jean lance à Lacan une remarque qui lui fait brusquement apercevoir qu’il fait tache dans le tableau, que sur ce bateau il est ridicule et de trop. Un moment de choc et d’angoisse pour Lacan qui entrevoit soudain son destin d’objet palea, d’objet déchet. Le « comique pur », ici, n’amusera que Petit-Jean.

À condition de faire mouche, le comique déplace donc les lignes et crée du nouveau. D’où sa proximité avec – et sa présence dans – l’analyse. Dans son cours, J.-A. Miller dit, à propos de la psychanalyse, que « l’interprétation […] est un mode de dire […] caractérisé par […] son essence ludique, qui suppose de ramener le langage […] vers les jeux possibles dans la langue [et que] le modèle […] [de l’acte analytique] est le mot d’esprit […] le Witz dont Lacan dit qu’il permet de passer la porte au-delà de laquelle il n’y a plus rien à trouver3 ».

Ainsi, là où le parlêtre est confronté aux frontières du langage, l’interprétation, le mot d’esprit ou le comique peuvent prendre le relai. S’ils parviennent à bousculer le sujet, à produire des effets sur le corps, ils permettent parfois de changer de discours… ou tout au moins d’en entrevoir la possibilité.

  1. Miller J.-A., « Les affects dans l’expérience analytique », La Cause du désir, n°93, février 2016, p. 99. ↩︎
  2. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 10. ↩︎
  3. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 13 novembre 2002, inédit. ↩︎

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