Suivons Andersen1 qui nous conte l’histoire d’un roi soucieux de sa vêture dans laquelle il aime parader. On dit de lui qu’il siège « dans sa garde-robe2 ».
Deux escrocs qui affirment être tisserands, lui promettent un habit somptueux qui aura la propriété d’être invisible « aux yeux de ceux qui ne convenaient pas à leurs fonctions ou qui étaient tout simplement idiots3 ».
Il s’empresse de faire confectionner l’habit. Ses ministres dépêchés pour voir l’avancée de l’ouvrage ne voient rien ! Affolés à l’idée d’être destitués de leur fonction, ils vantent auprès de l’empereur la beauté de l’habit dont tout le monde parle et dont il sera vêtu lors de la prochaine fête du royaume.
Le grand jour arrive et, alors qu’il constate avec effroi que le costume est invisible à ses propres yeux, le roi n’en dit rien, personne ne voudrait d’un roi sot. Il s’extasie donc devant l’étoffe inexistante dont il se laisse habiller. Ainsi dévêtu, il se présente à son peuple.
Tout le monde s’exclame : « Les habits neufs de l’empereur sont admirables ! Quel manteau avec traîne de toute beauté, comme elle s’étale avec splendeur4 ! », chacun étant soucieux de ne pas être repéré comme un imbécile par son voisin. Un enfant s’écrie alors « mais l’empereur est tout nu5 ! ». Et la foule entière se met alors à crier : « Mais il n’a pas d’habit du tout6 ! » Il lui semble que le peuple a raison mais le roi se dit : « Maintenant, je dois tenir bon jusqu’à la fin de la procession ». « Et le cortège poursuivit sa route et les chambellans continuèrent de porter la traîne, qui n’existait pas7. »
Voici un roi dont la tenue phallique est un enjeu de taille ! Le phallus, le roi n’en démord pas, il en est « propriétaire8 ». Les vêtements sont les attributs de sa parade virile et l’habillent de semblants phalliques qui le soutiennent et l’instituent comme roi. Il siège dans sa garde-robe.
Comme nous indique J.-A. Miller, celui qui se croit propriétaire du phallus a toujours quelque chose d’un peu frileux, « un bien, qui implique aussi la peur qu’on le lui dérobe9 ». Malgré l’évidence, il veut croire à l’étoffe qui n’existe pas, maintenant à tout prix l’illusion du semblant qui vient protéger « son petit avoir10 » et qui soutient son être.
Le rideau de la comédie phallique tombe alors que l’enfant s’exclame que le roi est nu. Le « jeu futile, [sinon] dérisoire de la vision11 » fait surgir une autre scène. Ici réside le « comique pur12 » dont parle Lacan. Derrière l’illusion du sujet-maître, il n’y a que l’homme-objet, pur produit, pure chute. Le corps, dans sa chute, se sépare de son image pompeuse et le corps érigé, une fois par terre, se détache du signifiant idéal qui le supportait. La destitution phallique se condense dans la formule « Le roi est nu ! »
Le comique se noue au pathétique, alors qu’une fois le rideau de la comédie phallique déchiré, le roi réaffirme continuer la procession comme si de rien n’était. Petit bonhomme court encore.
Voilà le roi, pirouette cacahouète, qui malgré sa maison en carton et ses escaliers en papier, continue d’avancer, car il y a toujours le fil doré qui peut rattacher le bout du nez… cassé.
- Andersen H. C., Les habits neufs de l’empereur, disponible sur internet. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- « Les habits neufs de l’empereur », Mille et une histoires, n°26, Fleurus presse, janvier 2002. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne n°36, mai 1997, p. 8. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 362. ↩︎
- Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 10. ↩︎





