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Une party de rire

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1968, The Party, film de Blake Edwards, nous convie à une soirée mémorable, un moment de rare hilarité. Pourquoi est-ce irrésistible ?
Plantons le décor : une maison de rêve au design épuré, des invités selects à la blondeur hollywoodienne, des serveurs en livrée, des musiciens de jazz. Ambiance feutrée et raffinée réservée aux happy few. Mais voilà qu’arrive Bakshi, alias Peter Sellers, l’incongru, l’indésirable, celui qui va faire tout capoter. Sa présence en ces lieux tient à un quiproquo : plus tôt dans la journée, l’acteur indien a par mégarde anéanti le décor ruineux du film d’un grand producteur américain, déclenchant la fureur de celui-ci. Il est blacklisté. Mais son nom arrive par erreur sur la liste des invités de la fête organisée par le fameux producteur. Erreur de casting ! Dès son entrée, Bakshi annonce ce dont sa gaucherie est capable : un premier faux-pas lui vaut de perdre sa chaussure. Celle-ci part alors à la dérive et arrive malencontreusement sur un plateau de petits-fours. Peter Sellers incarne à merveille cet étranger qui n’a pas les codes, qui enchaîne les gaffes et n’a pas sa place dans ce monde à paillettes.

« Le comique, dit Jacques-Alain Miller, a toujours rapport avec l’image de soi, et avec le patatras de l’image de soi1. » Bakshi, c’est nous bien sûr, l’image trébuchante qui se prend les pieds dans le tapis des convenances, le geste fatal, la tache dans le tableau. Il n’arrive pas à faire semblant, lorsqu’il veut ressembler aux convives et les imiter, il les singe. Ce qui se dévoile, c’est ce quelque chose qui glisse sous les apparences lisses et policées et qui fait tout rater. « [C]e qui nous satisfait dans la comédie, nous fait rire, nous la fait apprécier dans sa pleine dimension humaine, l’inconscient non excepté, ce n’est pas tant le triomphe de la vie que son échappée, le fait que la vie glisse, se dérobe, fuit, échappe à tout ce qui lui est opposé de barrières, et précisément des plus essentielles, celles qui sont constituées par l’instance du signifiant2. » Cette phrase de Lacan nous éclaire sur le ressort comique à l’œuvre ici. Cela fuit de partout, l’eau est l’objet omniprésent du film : c’est le cours d’eau qui emporte la chaussure, l’inondation des toilettes, le chérubin de la fontaine qui arrose les convives, la piscine où tous terminent. L’eau est cette force qui défait, qui noie et envahit la scène.

La réussite du film tient aussi au fait que le spectateur est de la fête : dans le miroir qu’il nous tend, Bakshi nous montre la vanité des personnages, leur murmure insignifiant. Les dialogues sont inaudibles, la musique indifférente à l’étrangeté de Bakshi dont la présence frappe la réalité de non-sens et rend les mots dérisoires. Ce non-sens comique, Birdy miam miam en donne une idée !
Bakshi est ici acteur du non-sens poussé à l’absurde, jusqu’à l’arrivée d’un éléphant, un vrai, dans un bain de folie multicolore. Le magasin de porcelaine s’est transformé sous nos yeux en une soirée mousse !

  1. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les us du laps », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 14 juin 2000, inédit. ↩︎
  2. Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 362. ↩︎
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